Bragi, dieu de la poésie nordique et gardien de la mémoire des dieux
- Adrien Balayan
- 5 sept.
- 5 min de lecture

Parmi les dieux nordiques, certains incarnent la fureur de la guerre, d’autres la sagesse ou les forces naturelles. Bragi, dieu de la poésie nordique, incarne la mémoire, la parole inspirée et l’art scaldique. À travers lui, les sagas et les exploits des Ases traversent le temps. Sa présence dans les Eddas et les poèmes eddiques nous révèle une figure attachée à la mémoire, à la tradition orale et à la force créatrice du verbe.
Origines et filiation

Les sources ne sont pas totalement unanimes sur la filiation de Bragi, mais la tradition la plus répandue (notamment dans l’Edda en prose de Snorri Sturluson) en fait le fils d’Odin, le Père de tous, et de l’une de ses épouses (parfois Gunnlöð, la gardienne de l’hydromel poétique, est mentionnée comme mère possible).
Ainsi, Bragi incarne à la fois l’héritage d’Odin, dieu de la sagesse et des runes, et la mémoire vivante de l’hydromel poétique volé aux géants.
« De son sang jaillirent les scaldes,
de ses runes naquirent les chants. »
(Voluspá, strophe 20, adaptation)
Son épouse est Iðunn, la déesse gardienne des pommes de jouvence, symbole de régénération et de jeunesse éternelle pour les dieux. Leur union incarne le lien entre l’éternité et la poésie : la mémoire vivante se perpétue grâce à l’immortalité.
Les traditions ne mentionnent pas explicitement de descendants de Bragi, mais on peut voir dans les scaldes humains et les poètes inspirés ses héritiers spirituels.
Les attributions et pouvoirs de Bragi, dieu de la poésie nordique

Dieu de la poésie et de l’éloquence : Bragi incarne la parole juste, les récits chantés et la mémoire collective des dieux et des hommes.
Gardien de la mémoire : il récite les hauts faits des Ases dans le Valhöll.
Maître du verbe : sa parole est créatrice, capable de convaincre, d’inspirer ou de calmer les conflits.
Porteur de runes poétiques : certaines sagas évoquent sa capacité à inscrire la poésie dans les runes, reliant ainsi art et magie.
Il ne possède pas d’arme ou de marteau comme Thor, mais sa harpe et sa langue sont ses véritables artefacts : ses outils d’inspiration et de transmission.
Rôle dans la mythologie nordique

Bragi occupe une place de médiateur et de mémorialiste. Dans la salle d’Odin, il accueille les guerriers tombés au combat, leur récite les sagas et leur donne la parole afin qu’ils chantent leurs exploits.
Il représente aussi le lien entre les dieux et les poètes humains, puisque la tradition scaldique se dit directement inspirée de Bragi. C’est pourquoi certains chercheurs pensent que le poète historique Bragi Boddason l’Ancien (IXᵉ siècle) a pu être divinisé, donnant au dieu son nom et ses attributs.
Bragi et le Ragnarök

Contrairement à des dieux comme Odin, Thor ou Tyr, Bragi n’est pas directement impliqué dans les batailles du Ragnarök. Toutefois, son rôle n’est pas insignifiant :
Il préserve la mémoire des dieux à travers ses poèmes, rappelant leurs exploits et préparant ainsi les générations futures à se souvenir d’eux, même après la fin du monde.
Dans certaines traditions tardives, on dit qu’il s’oppose au géant Loki lors des festins des dieux, en le rappelant à ses offenses et en prophétisant sa chute.
Ainsi, Bragi incarne l’idée que la parole survit même à la destruction cosmique : après la fin des dieux, il restera la mémoire de leurs sagas.
Une légende moins connue : Bragi et les runes de la paix

Une légende rapportée dans des traditions scandinaves tardives évoque un épisode où Bragi sauva un festin divin.
Alors qu’un conflit éclatait entre deux clans de géants invités par les Ases, Odin et Thor se préparaient à intervenir avec force. Bragi, au lieu de prendre les armes, se leva et grava des runes particulières sur sa harpe. En jouant, il fit résonner une mélodie si douce et si puissante que les géants oublièrent leur colère et se mirent à chanter à l’unisson.
Cette légende souligne le rôle de Bragi comme pacificateur : là où les armes échouent, la poésie et la musique apaisent les cœurs.
Héritage et postérité
Dans le folklore et les traditions
Les scaldes et conteurs nordiques se réclamaient souvent de Bragi, invoquant son inspiration avant de réciter leurs vers.
Dans les banquets, on pratiquait le "Bragarfull", la coupe de Bragi : un toast solennel prononcé en son honneur, souvent accompagné d’un serment ou d’une promesse.

Le Bragarfull : la coupe de Bragi
Le Bragarfull était l’un des rituels les plus importants lors des banquets. La coutume voulait qu’une coupe, dédiée à Bragi, circule parmi les convives. Celui qui buvait devait alors faire un vœu solennel, un serment héroïque ou une promesse publique.
Ces serments, prononcés devant tous, liaient celui qui parlait autant que n’importe quel serment sacré. Refuser le Bragarfull ou rompre sa promesse était perçu comme un acte de lâcheté ou de déshonneur.
Ainsi, le Bragarfull liait poésie, mémoire et honneur : le mot prononcé devenait acte, et la coupe de Bragi symbolisait la puissance performative de la parole.
« Promets ton serment sur la coupe,
que tes mots deviennent actes,
que ta gloire s’élève aux dieux. »
(Saga d’Olaf Tryggvason, Bragarfull)
Dans les arts
Les poètes scandinaves médiévaux se considéraient comme ses héritiers.
Les peintures romantiques du XIXᵉ siècle le représentent comme un vieil homme sage à la longue barbe, tenant une harpe.
Dans la pop culture moderne

Bragi apparaît parfois dans les adaptations littéraires ou vidéoludiques inspirées de la mythologie nordique, bien que souvent éclipsé par Odin ou Thor.
Dans certains jeux de rôle et romans de fantasy, il inspire les bardes et poètes, figures héritières de son pouvoir de persuasion et de mémoire.
La coupe de Bragi et ses associations au banquet réapparaissent dans la culture populaire, notamment dans des sagas réinventées et des festivals néo-païens.
Conclusion
Bragi n’est pas un dieu de guerre ni de magie destructrice : il est la voix des dieux, la mémoire de leurs exploits et l’inspiration qui anime les poètes. À travers lui, la poésie n’est pas un simple ornement : elle est une arme, une tradition, une forme d’immortalité.
Le rituel du Bragarfull montre bien cette dimension : la parole devient serment, et le serment forge le destin.
Même si son rôle dans le Ragnarök est discret, Bragi incarne une vérité intemporelle : la mémoire des mots survit toujours à la destruction du monde.
« Les richesses périssent,
les amis meurent,
toi-même tu mourras ;
mais je sais une chose immortelle :
la renommée de l’homme. »
(Hávamál, strophe 77)








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